[Transcription de la vidéo :]
Si vous avez mis les pieds dans une manifestation contre la réforme des retraites, il y a de grandes chances que vous ayez été exposé au gaz lacrymogène.
Depuis plusieurs années, cette arme est utilisée presque systématiquement pour disperser les manifestants. Pourtant, des chercheurs, des observateurs et même des policiers les considèrent dangereux. Aucune étude n’a été menée pour déterminer les effets à long terme de ce gaz sur la santé.
Vous n’avez pas de moyens de sortir du nuage ? Là il existe un risque très très sérieux pour votre santé. Vraiment, ce cocktail de gaz non testé dans des quantités extrêmes sans avoir vraiment aucune connaissance de l’impact que ça sur la santé à long terme… Le foie, les reins et surtout le cerveau peuvent avoir des atteintes.
Une Victime :
« La plus grosse prise de gaz lacrymogène c’était là, le soir du 20 mars. Je rentre chez moi et je passe une nuit horrible avec les yeux qui pleurent. Des éternuements en continu Même jusqu’à avoir des diarrhées quoi.
La nuit suivante c’est pareil Je dors mal, et donc le mercredi, je décide de prendre rendez-vous chez le médecin. La médecin me dit très vite : il n’y a pas de bactéries, il n’y a pas de virus. C’est quand je lui explique que, le lundi soir, j’étais en manifestation, que j’ai été exposée au gaz lacrymogène Que moi je fais le lien. Elle, elle ne l’affirme pas elle me dit : c’est possible. Et elle me met juste sous anti-allergène pendant 30 jours. »
Patxi, Street Medic depuis 4 ans. Il intervient très souvent dans les manifestations à Bordeaux :
« Les manifestations commencent très régulièrement place de la Bourse. Et justement, ce sont il y a deux rues parallèles qui permettent d’accéder au centre-ville. Dès lors que les manifestants essaient de se rapprocher de ces endroits-là, systématiquement, à ce moment là, les forces de l’ordre emploient des grenades lacrymogènes. Tout le quartier était cerné Il y avait un nassage assez important de toute la place Il y a eu des échanges entre les manifestants et les forces de l’ordre Les forces de l’ordre ont immédiatement répliqué par l’utilisation non seulement de LBD mais aussi l’utilisation de gaz. Et malgré nos masques on n’y voyait pas à un mètre. J’ai le souvenir justement en tête d’un manifestant Elle n’arrivait pas ni à se repérer, qu’elle n’arrivait pas non plus à se relever On s’est évidemment posé des questions. Savoir si cette personne allait réussir à s’en sortir. Il y avait une détresse respiratoire, respiration rapide et superficielle, et puis des sensations, cette sensation intense qui était causée par la peur de mourir… »
Guillaume Groult fait partie de la police scientifique. Il est secrétaire général d’un syndicat Il s’intéresse de près l’usage du gaz lacrymogène :
« Dans une grenade lacrymogène il y a une multitude de composants chimiques dont le fameux CS. C’est lui qui cause les picotements dans les yeux et les poumons. C’est pas simplement du gaz qui vous fait pleurer qui pique les poumons. C’est aussi quelque chose qui est absorbé Donc au cours du temps un risque peut s’établir.
Pour pouvoir parler d’empoisonnement il faut bien quand même bien prendre le recul par rapport à ça, il faut que les conditions soient extrêmement délétères. Si vous ne vous trouvez pas dans un cas où toutes les conditions de sécurité sont réunies, si par exemple la foule est bloquée Donc elle se retrouve à être forcée à rester au sein d’un nuage Le risque va augmenter.
Si d’autres munitions sont tirées entre temps, le nuage va devenir plus dense, le risque va augmenter En temps normal, non, vous n’êtes pas censé en avoir peur Par contre, s’il se produit quelque chose non sécuritaire, là il peut commencer y avoir des problèmes. »
Alexander Samuel est docteur en microbiologie après le mouvement des gilets jaunes il a monté un dossier de 127 pages avec un chercheur du CNRS sur le gaz lacrymogène et le CS :
« Cette molécule est également absorbée par la peau et par les voies respiratoires. Et ensuite à l’intérieur du corps, il est coupé en morceaux, et un des morceaux c’est du cyanure. Le cyanure bloque la chaîne respiratoire On appelle ça la chaîne respiratoire, e c’est comme si on n’arrivait pas à utiliser son oxygène. Il va se mettre à la place de l’oxygène, et donc on va continuer à absorber de l’oxygène, mais on va pas pouvoir l’utiliser. C’est comme si on nous étranglait.
Quand on nous étrangle, on n’a pas d’oxygène qui est porté aux différents organes, il peut y avoir ce qui s’appelle un stress oxydatif qui va causer des dégâts à l’organisme. Le foie, les reins et surtout le cerveau peuvent avoir des atteintes. Parce que c’est l’organe qui consomme le plus d’oxygène, qui a besoin de plus d’énergie pour fonctionner. »
Un groupe de chercheurs de l’Université de Londres a étudié une manifestation du mouvement Black lives matters le 9 juin 2020 aux États-Unis Un jour où la police américaine a tiré 138 grenades lacrymogènes le Tear Gas Tuesday :
« On a simulé le mouvement du gaz lacrymogène ce jour-là. Sur ces 15 points de mesure, le seuil de 2 mg par mètre cube au-delà duquel l’exposition est considérée comme immédiatement dangereuse pour la vie et la santé par les agences fédérales américaines. Ce seuil a été dépassé. La concentration maximale qu’on a pu observer dans l’air était d’environ 4500 mg par mètre cube. Les manifestants étaient soumis à des concentrations qui sont extrêmement élevées de produits chimiques dangereux à des niveaux qui sont considérés comme mettant vraiment leur vie en danger. »
Guillaume Groult :
« Là on est on est quasiment sur de l’empoisonnement Si lors des événements de manifestation à Portland. On est sur du 4500 mg par mètre cube de gaz. Là vous avez un risque de toxicité aigu, associé à l’absorption de gaz lacrymogène Parce que potentiellement associé au fait d’absorber du cyanure, de métaboliser du cyanure 4500 mg par mètre cube : si vous n’avez pas de moyen de sortir du nuage, là il existe un risque très très sérieux pour votre santé »
La police américaine a donc atteint des taux dangereux avec 138 munitions. Pour plusieurs CRS français joints pour notre enquête, cette quantité de grenades lacrymogènes est presque risible par rapport à ce qui est utilisé pendant la contestation contre la réforme des retraites.
Ce qu’on observe, c’est que les particules de CS peuvent rester dans l’air bien après leur déploiement initial des munitions Elles peuvent se déposer assez loin de leur source, près d’écoles, de restaurants, dans les habitations aux alentours. On a également pu observer, ou dans les témoignages, des personnes qui ne faisaient pas partie des manifestations. Qui, passivement, ont été exposées à des concentrations de gaz qui leur ont causé des symptômes similaires à ceux des manifestants, mais depuis leur domicile…
« À la suite des manifestations, on recense tout un éventail de symptômes : l’asthme, les brûlures chimiques, les lésions pulmonaires, les troubles sur le cycle mensuel…
C’est quelque chose qui revient très souvent En revanche, ce qui est vraiment important de noter c‘est qu’aujourd’hui, nous avons très peu d’études faites sur l’impact des agents chimiques sur la santé à long terme, c‘est pour moi, déjà, la source du problème Ce qui se passe, c’est que les forces de police déploient sur des manifestants ce cocktail de gaz non testé dans des quantités extrêmes , sans avoir aucune connaissance de l’impact que ça a sur la santé à long terme. »
La Victime :
« Je pense que c’est le plus compliqué : c’est l’incertitude liée aux effets du gaz lacrymogène. Je suis atteinte d’endométriose A chaque cycle menstruel, depuis le mois de janvier, j’ai l’impression que chaque cycle est plus difficile et plus douloureux. Parfois je me demande : est-ce que le gaz lacrymo n’aurait pas un impact.
C’est l’incertitude de me dire : je ne sais pas aujourd’hui, si je veux tenter de comprendre quels sont les effets des gaz lacrymogènes sur moi, je sais pas vers qui me tourner. Je sais pas quoi lire Je ne sais pas quelles sont les sources fiables pour connaître les effets des gaz lacrymogènes. Du fait qu’il existe des situations dans lesquelles le gaz lacrymogène n’est pas sans danger. »
Guillaume Groult :
« Oui il peut y avoir une toxicité très importante qui peut être impliquée. Nécessairement, normalement, on devrait avoir des données extensives sur sa sécurité d’usage et sur les éventuels risques associés. Même lorsqu’ils sont rares, de manière à pouvoir suivre les personnes exposées en cas de difficultés médicales, les personnels en cas de maladie professionnelle, et de pouvoir les former, leur exposer, leur expliquer l’existence de ces risques.
Ces données-là, à ma connaissance du moins, on ne les a pas, Ce n’est pas une question d’avoir des personnes en face qui pensent à mal, C’est une question de savoir comment les a formées, et ce qu’on leur a dit. Si on ne leur a rien dit… »
Aujourd’hui, l’utilisation du gaz lacrymogène en France interroge les observateurs internationaux :
Amnesty International :
« Dans le droit international, le gaz lacrymogène doit être utilisé comme le dernier recours dans les situations de violence généralisée On voit souvent qu’en France, c’est utilisé en premier recours. C’est quasiment le seul moyen, la seule tactique utilisée par les forces de l’ordre pour disperser les gens. Ceci peut être potentiellement considéré comme un traitement cruel, inhumain et dégradant parce que l’objectif de l’utilisation du gaz lacrymogène, en principe, c’est de disperser les gens. S’il n’y a pas des chemin, pas d’option, de rue, pour disperser , alors cet objectif ne peut pas être réalisé.
La surutilisation du gaz lacrymogène, ses risques potentiels sur la santé et la peur que ça peut inspirer aux manifestants, tout cela contribue à entraver le droit de manifester en France. Cela mérite des enquêtes indépendantes pour effectuer des changements, des changements dans les lois, dans les règles de l’utilisation du gaz lacrymogène, pour mieux protéger le droit de manifester en France. C’est urgent. »
La Victime :
« La plus grande question, c’est de savoir comment je peux retourner en manifestation de manière sereine, en sachant qu’aujourd’hui, le gaz lacrymogène est utilisé quasiment à chaque manifestation. Tout ce sujet pour moi, ce sont plein de points d’interrogation dans ma tête. Je suis encore déterminée, mais il est possible que j’arrête d’aller en manifestation Je ne sais pas, on verra… »
[Télécharger la transcription]