Notre Dédédé nationale, alias Défenseuse des droits, mène une enquête sur l'accès aux droits (la fameuse enquête "EAD") depuis 2016, pour identifier et mesurer les atteintes aux droits dans ses domaines d'intervention
La DDD publie le premier volet de cette enquête EAD, consacré aux forces de sécurité et censée permettre de « mieux comprendre les interactions entre la police et la population ».
Méthodologie
Au total, 5 030 personnes ont été interrogées par téléphone. La durée moyenne des entretiens était de 37 minutes.
L’enquête a été menée par l’institut de sondage Ipsos entre le 10 octobre 2024 et le 11 janvier 2025.
Le questionnaire
Le questionnaire de l’enquête collecte des informations habituelles sur le profil social et démographique des personnes (âge, sexe, niveau de diplôme, lieu de résidence, etc.) mais aussi des informations relatives à d’autres caractéristiques telles que l’origine (appréhendée par le pays de naissance, la nationalité des parents et l’origine perçue), la religion (auto-déclarée et perçue), l’orientation sexuelle, la situation de santé ou de handicap, afin de mieux caractériser les difficultés ou discriminations auxquelles sont confrontés certains groupes sociaux. Cette spécificité de l’enquête lui permet, dans une perspective intersectionnelle, d’articuler les différentes dimensions productrices de discriminations et d’inégalités.
Afin de tester le questionnaire, la formulation et la compréhension des questions, leur enchaînement et la durée de passation, une enquête pilote a été préalablement réalisée en septembre 2024 auprès de 50 personnes.
Les répondants
L’échantillon a été constitué de manière aléatoire pour pouvoir établir des estimateurs représentatifs de la population âgée de 18 à 79 ans résidant en France métropolitaine.
La sélection des individus a été réalisée à partir d’un sondage aléatoire à deux degrés, reposant sur : (1) la constitution d’une base de numéros de téléphones filaires et mobiles, correspondant à la population des ménages en France métropolitaine puis (2) le tirage au sort au sein des ménages, selon la méthode Kish, de la personne à interroger.
Les enseignements
Ce que montre l’enquête :
- L’image des forces de l’ordre est très liée à la qualité des interactions avec les agents. Lorsque l’échange se passe mal, c’est la confiance dans la police ou la gendarmerie et plus largement dans l’ensemble des institutions qui s’en trouve dégradée. Au final, c’est le sentiment d’appartenance à la collectivité qui est altéré.
- La proportion de personnes ayant fait l’objet d’un contrôle d’identité a connu une forte augmentation entre 2016 et 2024. En 2016, 16 % des personnes interrogées déclaraient avoir été contrôlées au moins une fois sur les 5 dernières années. En 2024 elles sont 26%.
- Certains groupes sociaux restent surexposés au risque d’être contrôlés et d’être confrontés à des comportements non professionnels. Il s’agit notamment des jeunes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ou des personnes se déclarant non-hétérosexuelles.
- Pour la première fois, le Défenseur des droits s’interroge sur l’expérience lors des dépôts de plainte et de main courante. En ressort des pratiques contraires à la déontologie des forces de l’ordre. Ainsi, certains facteurs augmentent le risque d’être confronté à un refus de dépôt de plainte ou de main courante ou des comportements non professionnels : le port de signe religieux, le handicap et le fait d’être au chômage.
Les recommandations
Sur les contrôles d’identité
- Mettre en place un dispositif d’évaluation de la pratique des contrôles d’identité, de leur efficacité et de leur impact sur les relations avec la population et veiller à une publicité périodique des résultats obtenus.
- Modifier le cadre légal des contrôles d’identité, en précisant à l’article 78-2 du code de procédure pénale que
- les contrôles d’identité ne doivent pas être fondés sur les critères de discrimination prévus par la loi ;
- quel que soit le cadre juridique du contrôle effectué, le motif du choix de la personne contrôlée doit être objectivé et énoncé à la personne contrôlée, dans la mesure du possible.
- Encadrer la pratique des contrôles d’identité :
- en formalisant une doctrine d’emploi relative aux conditions du recours aux contrôles d’identité et au déroulé du contrôle (notamment concernant le recours aux actes connexes, tels que les palpations de sécurité et les inspections visuelles) ;
- en réaffirmant le rôle et les obligations de l’autorité hiérarchique directe dans l’encadrement des opérations et des pratiques professionnelles.
- en renforçant l’encadrement de proximité et en organisant périodiquement des séances de retour d’expérience, en s’appuyant notamment sur les enregistrements issus des caméras-piétons.
- Renforcer les modules dédiés aux contrôles d’identité dans les formations initiales et continues des forces de l’ordre, en veillant à ce qu’ils soient effectivement suivis.
- intégrer dans ces modules l’interdiction des comportements discriminatoires et les moyens d’améliorer les relations des agents de la force publique avec la population.
- impliquer la hiérarchie pour qu’elle soit partie prenante d’un réel changement de culture dans l’institution ;
- évaluer l’efficacité de ces modules de formation sur la conformité des pratiques professionnelles.
- Assurer la traçabilité des contrôles d’identité par tous moyens, lesquels pourraient être définis à la suite d’expérimentations, afin de garantir aux personnes contrôlées la possibilité d’exercer utilement un recours, notamment en cas d’allégation de discrimination.
- Garantir l’effectivité du contrôle du parquet sur les opérations de contrôles d’identité, en police judiciaire comme en police administrative, tel que préconisé par le ministère de la justice dans la dépêche du 6 mars 2017 (CRIM-PJ N° 05-28-H8) ; particulièrement concernant les contrôles d’identité réalisés sur réquisitions judiciaires :
- au moment de la délivrance des réquisitions, pour vérifier la légalité et l’opportunité des opérations sollicitées ;
- après la réalisation des opérations à partir du rapport devant être remis par le chef du service de police ou de l’unité de gendarmerie ayant procédé aux contrôles, lequel doit comporter « des précisions relatives au cadre juridique et aux modalités des contrôles, des informations statistiques et tout élément permettant à l’autorité judiciaire de s’assurer du caractère non discriminatoire de ces contrôles, à travers notamment la présentation des critères ayant présidé au choix des personnes à contrôler ».
- Garantir l’effectivité des enquêtes et des réponses aux comportements discriminatoires
- Garantir l’effectivité de l’enquête dès lors que les autorités compétentes, administratives et/ou judiciaires, sont saisies d’une plainte pour contrôle d’identité discriminatoire. Cela implique une indépendance de l’autorité enquêtrice ainsi qu’une célérité dans le recueil des preuves disponibles (identification des agents mis en cause, enregistrements vidéos des caméras-piétons, des caméras de surveillance, consultations des fichiers, rapports, témoignages…) pour vérifier l’allégation de discrimination ;
- Réaffirmer le rôle de l’autorité hiérarchique dans la détection des signes laissant suspecter un risque de discrimination et leur devoir de remontrance à cet égard, ainsi que leur devoir de traiter sans tarder les discriminations établies par des réponses adaptées.
- Renforcer le contrôle interne exercé par les inspections générales par un suivi détaillé du traitement des signalements relatifs aux contrôles d’identité afin de leur permettre une appréciation globale du respect de la déontologie des contrôles d’identité par les forces de l’ordre ;
- Garantir l’effectivité du contrôle externe exercé par le Défenseur des droits :
- En lui octroyant les moyens nécessaires ;
- En lui garantissant l’accès à l’ensemble des éléments nécessaires à l’exécution de sa mission ;
- En portant toute l’attention nécessaire à ses saisines de l’autorité investie du pouvoir d’engager les poursuites disciplinaires, en répondant à celles-ci, et en motivant les éventuelles décisions subséquentes de ne pas engager de poursuite disciplinaire.
Sur l’accueil en police ou gendarmerie
Garantir un accès équitable et de qualité au service public policier, notamment par :
- Le renforcement de la formation initiale et continue des agents à l’accueil et à la prise en charge des publics, notamment les plus vulnérables, et la valorisation de cette mission d’accueil par l’institution ;
- La mise en place des moyens matériels et humains nécessaires à la garantie d’un accès effectif et sans discrimination au service public de la police ;
- Le développement de dispositifs d’évaluation et de suivi pour garantir une qualité d’accueil homogène sur l’ensemble du territoire.
