Comme le rappelle Le Monde (17 et 29/11), il ne devait s’agir initialement que de la traduction législative d’un rapport parlementaire consacré au « continuum de sécurité » et destiné à mieux articuler le travail entre les trois grandes entités que sont la police et la gendarmerie (250 000 personnes environ), la police municipale (33 000 fonctionnaires) et le secteur de la sécurité privée (175 000 agents)...
Quel chemin parcouru pour aboutir à cette proposition de loi sur la Sécurité globale… dans le mauvais sens de la pente.
Et quel sens de l’opportunité !
- En plein confinement/couvre-feu, alors
- Que les manifestations de mécontentement se multiplient [Le Vif, NY Times, Le Vif, 20 Minutes, Pressenza etc.],
- Que des foules marchent dans toujours plus de ville,
- Que les incidents impliquant les forces de l’ordre sont monnaie courante désormais,
- Que le nassage sera débattu devant le conseil constitutionnel [Lire l’article suivant],
- Que Michel Zecler et ses jeunes musiciens se font assiéger et tabasser dans un déchaînement de haine flicarde dans leur propre studio
- Que les incidents se multiplient à l’occasion de contrôles COVID,
- Que des journalistes ne sont plus épargnés par le besoin d’en découdre des flics (comme Tangi Kermarrec le 17 novembre par des BRAV [sic, brigades de répression des actions violentes !]
- Que lle jeune photographe indépendant d’origine syrienne Ameer al Halbi est blessé au visage par un coup de matraque le 28 novembre,
- Quel la photojournaliste Hannah Nelson est gardée à vue une nuit entière,
- Que le journaliste Gaspard Glanz porte plainte pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique », « abstention volontaire de mettre fin à une privation de liberté illégale » et « entrave à la liberté d’expression et du travail » : « En 2020, dans 80% des manifs que j’ai couvert, je me suis retrouvé en garde à vue ! Ras-le-bol !« )
Fallait-il en rajouter pour complaire aux forces de l’ordre ?
Chronique incomplète de la dérive sécuritaire de l’année :
- 03.2020 – Macron lors du grand débat national à Gréoux-les-bains : « Ne parlez pas de ‘répression’ ou de ‘violences policières’, ces mots sont inacceptables dans un État de droit […] Je n’aime pas le terme ‘répression’ parce qu’il ne correspond pas à la réalité » (Le Canard enchaîné)
- 11.03.2020 – L’ACAT publie son rapport « Maintien de l’ordre : à quel prix ?«
- 04.2020 – Le Sinistère de l’intérieur passe un appel d’offres pour 650 drones qui s’ajoutent aux 235 déjà en service (Le Canard enchaîné)
- 16.09.2020 – Darmanin rend public le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), qui prévoit l’accréditation des journalistes pour participer aux manifs, et édicte : « Le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes«.
- 15.10.2020 – Macron reçoit les syndicats de police et leur promet des dispositions sur la diffusion d’images d’images des forces de l’ordre : en présence de Darmanin et Dupond-Moretti, il s’engage à créer une peine plancher pour toute agression contre un policier, avant que Dupond-Moretti lui fasse remarquer que c’était inconstitutionnel. Dupont-Moretti qui confiera plus tard, selon le Canard enchaîné (25.11.2020) : « Le Conseil constitutionnel n’acceptera jamais le fameux article 24 […] Je me demande encore bien pourquoi le gouvernement s’est embarqué dans une galère pareille. On condamne sur des faits, pas sur des intentions. Ce n’est pas faute d’avoir averti Macron.«
- 12.11.2020 – Saisie par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU adresse à Macron un rapport sur la proposition de loi : « Nous craignons que l’adoption et l’application de cette proposition de loi puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique ». « Nous exhortons les autorités françaises à éviter de prendre des mesures qui résultent dans la stigmatisation de groupes entiers et nous les exhortons à prendre activement des mesures pour que des groupes ne soient pas stigmatisés ou ne voient pas leurs droits de l’homme violés parce que certains individus ont fait des choses qu’il ne fallait pas faire« , a déclaré Michelle Bachelet. La Haut-commissaire a rappelé qu’en termes de violences policières, elle avait déjà fait part de ses inquiétudes durant les manifestations du mouvement de protestation des Gilets jaunes, lancé fin 2018 en France, et elle « encourage les autorités à mener des enquêtes rapides, complètes, indépendantes, impartiales et transparentes pour toute violation des droits de l’homme« .
- 13.11.2020 – Darmanin veut durcir le texte de la proposition de loi et introduire le floutage des visages des policiers (Libération 13/11)
- 20.11.2020 – Une disposition est examinée en procédure accélérée par une commission mixte paritaire dans le cadre de la loi de programmation de la recherche complète l’art. 24 de la proposition de loi Sécurité globale qui prévoit une peine de 3 ans de prison pour quiconque, « en réunion« , vient « troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement« . Merci au sénateur centriste Laurent Lafon qui a introduit l’amendement. À l’origine, dans sa première formulation, la disposition visait à pénaliser toute entrave ou intrusion dans les locaux universitaires. Libération (20.11.2020) note que, s’agissant d’un cavalier législatif, cette mesure pourrait être retoquée par le Conseil constitutionnel
- 21.11.2020 – Tabassage filmé de Michel Zecler
- 29.11.2020 – Le Procureur Rémy Heitz détaille la procédure envisagée pour les 4 flics qui ont tabassé Michel Zecler. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale : « La relation entre la police et la population n’est pas entamée«
- 01.12.2020 – Roselyne Bachelot, ministre de la culture (et de la presse) : « Le ministre de l’intérieur ne m’a absolument pas associée à cet article 24. J’ai découvert le truc quand ça a commencé à faire polémique. […] Si le ministre de l’intérieur avait procédé à un minimum de concertation avant de rédiger son article 24, il aurait évité cet écueil [toucher à la loi de 1881 sur la presse]« .
- 04.12.2020 – Macron : » Je ne peux pas laisser dire qu’on réduit les libertés en France. […] C’est un grand mensonge. On n’est pas la Hongrie ou la Turquie » (Brut, 04.12.2020). Pierre Rosanvallon, sociologue et professeur au Collège de France : « On se rapproche d’une démocratie à tendance technocratique mâtinée d’un penchant liberticide.«
- 04.12.2020 – Trois décrets sur les fichiers de police sont pris par Darmanin. Possibilité de collecter dans certains cas des données nominatives relatives « à des opinions, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale« , ainsi que des « comportements et habitudes de vie« , des « pratiques sportives« , des « facteurs de fragilité« , des « addictions« , des « liens avec des groupes extrémistes » ou des « facteurs de dangerosité« .
- 09.12.2020 – Le Canard enchaîné (09.12.2020) révèle un beau mélange des genres : le député LRM Jean-Michel Fauvergue, l’un des deux rapporteurs de la loi, ancien patron du RAID, est aussi le fondateur de Fauhestia Cons, une société de conseil spécialisée en « formation et toute intervention de ce type dans les domaines du management et de la sécurité« …
Bref rappel des principales dispositions contestées de la proposition de loi en question
- Art. 21 et 22 – Désormais, les flics pourront filmer les manifs avec des drones, dont les images seront visionnées en direct depuis la salle de commandement, puis archivées pendant un mois. Mais pas que les manifs : tous « lieux particulièrement exposés à des risque d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants.«
- Art. 23 – Il prive les condamnés pour infractions contre les forces de l’ordre, les élus ou les pompiers du bénéfice du système de réductions de peine automatique accordées aux détenus (Le Monde 01.12.2020)
- Art. 24 – La disposition qui fait le plus débat. Il pénalise l’usage « malveillant » d’images des forces de l’ordre. La diffusion « du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique », sera punie d’un an de prison et d’une amende de 45 000 euros. La mesure n’interdira pas de transmettre les images aux autorités administratives et judiciaires. D’où un risque évident de limitation du droit d’informer et d’impunité des policiers violents
Depuis novembre 2018, le bilan des bavures pendant les manifs ressortant des seules statistiques hospitalières est sidérant selon le Canard enchaîné :
- 1 mort,
- 5 mains arrachées,
- 25 personnes éborgnées
- plus de 300 admissions à l’hosto pour blessures à la tête.
- Plus 334 signalements suivis d’investigations par l’IGPN, mais peu de suites judiciaires : si le nombre d’enquêtes à augmenté de 32% en 3 ans, les sanctions prononcées ont reculé de 19%…
Selon le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux, 39 flics auraient été virés (JDD 29.11.2020), sans que ce chiffre ait jamais figuré dans un rapport de l’IGPN.
Comme le souligne Le Canard enchaîné (09.12.2020), voilà un nouvel avatar de l’axiome « Un drame, un attentat, un fait divers, une polémique = une loi« . Le code pénal actuel permet déjà de poursuivre la diffusion d’images de policiers assortie de menaces ou de commentaire injurieux, il n’y a aucun vide juridique en la matière.
- Assemblée nationale
- Le Monde
- Libération
- Le Vif
- 20 Minutes
- Le Vif
- The New York Times
- 20 Minutes
- Stop Loi Sécurité Globale
- RT
- Le Monde
- Huffington Post
- Le Monde
- Huffington Post
- L’Express
- Pressenza
- Le Canard enchaîné 02.12.2020, 25.11.2020 et 09.12.2020
- 2020.11.17_LeMonde_Quelles.Sont.Les.Principales.Mesures.De.La.Loi.De.Securite.Globale.Examinee.A.L.Assemblee.pdf
- 2020.11.13_Liberation_Loi.Securite.Globale.Darmanin.Veut.Durcir.Le.Texte.Et.Introduire.Le.Floutage.Des.Visages.Des.Policiers.pdf
- 2020.11.19_LeVif_FrancePolemique.Autour.D.Une.Loi.Controversee.Limitant.La.Diffusion.D.Images.De.Policiers.pdf
- 2020.11.24_20Minutes_Loi.Securite.Globale.Malgre.Les.Nombreuses.Critiques.Le.Texte.Obtient.Le.Feu.Vert.De.LAssemblee.pdf
- 2020.11.28_LeVif_Manifestations.Contre.Une.Loi.Securitaire.En.France.pdf
- 2020.11.29_20Minutes_Marches.Des.Libertes.62.Policiers.Et.Gendarmes.Blesses.81.Interpellations.Selon.Le.Ministere.De.L.Interieur.pdf
- 2020.11.19_RT_Proposition.De.Loi.Securite.Globale.L.ONU.Adresse.A.Emmanuel.Macron.Des.Critiques.Severes.pdf
- 2020.12.18_LeMonde_Loi.Securite.Globale.Le.Conseil.De.L.Europe.Exhorte.Le.Senat.A.Amender.Le.Texte.pdf
- 2020.11.16_HuffingtonPost_La.Loi.Securite.Globale.La.France.Rappelee.A.L.Ordre.Par.L.ONU.pdf
- 2020.12.07_LeMonde_Le.Gouvernement.Elargit.Par.Decret.Les.Possibilites.De.Fichage.pdf
- 2020.07.24_HuffingtonPost_Violences.Policieres.Comme.Jacques.Toubon.Claire.Hedon.Recuse.L.expression.pdf
- 2020.11.29_Pressenza_Thousands.Of.Protesters.March.In.France.Against.Security.Law.That.Bans.Filming.Police.pdf